De la poésie à l’action
Élève de l’école africaine puis de l’école orientale
J’entrai à l’école de la Fraternité comme apprenti
Ce jour-là je renaquis dans un espace clair et aéré
Sur les 2 colonnes des frères parés de leurs décors
Je vins muni d’outils tenant dans une main un ciseau
Tenant dans l’autre un maillet pour façonner les pierres
Quelles qu’elles soient qu’elles soient brutes ou carrées
Qu’elles soient tendres ou dures petites ou grandes
Progressant dans mon initiation j’accédai au grade de compagnon
Instruit par de braves maîtres j’accédai bientôt au grade de maître
Travailler ces matières opaques ou transparentes
Extraites du sol ou qui constituent les flancs escarpés
Ciseler la matière brute avec détermination et patience
Lui donner une forme précise reflet de la vérité perçue
Agencer les pierres dans un vaste ouvrage doté de sens
Secondé du frère-ami secondé de la sœur-amie
Voilà comment je vis ma vie jour et nuit
Aux matériaux épars posés là par l’Architecte-Suprême
Qui est à la fois femme et homme que certains appellent Dieu
Et d’autres Unkulunkulu et d’autres encore Shààkapàngà ou Imana
Et qui porte une infinité d’autres noms encore tous cependant inadéquats
Pour nommer l’incommensurable qu’il est et le mystère qui l’entoure
À ces matériaux donc donner une forme neuve une forme humaine
Autrement dit construire ensemble un temple et participer ainsi
À la création du monde Voilà pourquoi je suis né à nouveau
Chaque matin ajuster mes outils chaque soir les laver et les faire briller
Les ranger soigneusement sous mon lit afin qu’ils illuminent mes rêves
Libre poète je sais une seule chose : penser !
Libre poisson je sais une seule chose : nager !
Libre oiseau je sais une seule chose : voler !
Et je vole sans répit allant de cime en cime
Annonçant au dormeur le lever du jour !
Je suis descendant du Potier-primordial Celui qui imagina l’Univers
Et qui ne cesse d’esquisser ses œuvres Ô homme quelle noble mission
Que celle de poursuivre la création celle de se recréer soi-même !
Dès le lever je prends mes outils Je manipule le ciseau tranchant
Taillant droit taillant de biais faisant sauter les éclats alentour
Éclate aussi le moi illusion du profane bulle remplie d’incohérences
Et de contradictions et de peurs bulle d’air oublieuse de son essence :
La fragilité qui est telle qu’une aiguille un virus la fait voler en éclats
Sur les débris du moi ériger une pyramide massive
De pierres retravaillées une pyramide équipée d’ailes
Qui échappe au temps inexorable qui traverse les orients
Voilà la mission du poète Celui-qui-casse-pour-reformuler
Que fait le poète diseur par excellence celui qui dit ce qui est au-delà des mots
Sinon détruire les formules et les concasser pour laisser entrevoir l’autre rive ?
Étendre le chantier depuis le temple jusque dans sa demeure privée
La chambre où pénètre seul l’analyste ou le confesseur ou l’initié
Y demeurer depuis le matin jusqu’au soir à œuvrer inlassablement
Il est plus facile de construire une fusée
Et d’aller sur Mars que d’émonder son cœur
De vaincre le monstre en soi Devant ce constat
Échapper à la tentation de la désespérance
Et continuer de manipuler les outils d’acier
Le tailleur de pierres devient la pierre qu’il taille
Loin de la logique dictée par la monture de lunettes
Nos lunettes encadrées qui ne nous montrent pas tout